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A Hambach, Smart cède sa place à l'Ineos Grenadier, un transfert pas forcément bien goupillé

Dans Futurs modèles / Concept-cars

Michel Holtz

Ça y est, c’est signé et acté : le constructeur anglais Ineos produira bien son 4x4 Grenadier sur le site mosellan de Hambach, ex-Smart. Une bonne nouvelle pour les 1 300 (sur 1 500) salariés de l’usine qui pourront continuer d'y travailler. Mais cette bonne nouvelle semble ternie par le doute sur les espérances de réussite de l’opération. À cause du modèle, pas vraiment dans l’air du temps, et de son patron, pas vraiment des plus convaincants.

A Hambach, Smart cède sa place à l'Ineos Grenadier, un transfert pas forcément bien goupillé

L'arrivée d'une nouvelle marque dans le cercle fermé à double tour des constructeurs automobiles mondiaux doit toujours être saluée à sa juste valeur. Et quand, de surcroît, ce nouveau constructeur entend renouer avec les vraies valeurs de l'automobile simple, efficace et durable, on s'incline. Si en plus, cette marque sauve une usine française vouée à la fermeture, on fait la ola. Autant dire que l’a priori favorable dont bénéficie le 4x4 Grenadier d’Ineos dans la presse spécialisée française et chez les fans d’off road est quasi unanime. Du coup, on s’en voudrait presque de jouer à l’oiseau de mauvais augure et l’on ne souhaite pas doucher les espoirs des salariés de l’usine Smart de Hambach en Moselle épargnés par le chômage, puisque Mercedes, la maison mère de la marque aux petites autos, a décidé de fermer son unité de production lorraine et que le futur tout-terrain anglais apparaît comme un sauveur en reprennant l'usine et 1300 (sur 1 500) salariés. Le futur Ineos Grenadier sera donc bel et bien fabriqué fabriqué en Moselle. Pourtant, le projet n’est pas le plus cohérent qui soit, ni dans sa manière de se projeter dans le futur économique de l’automobile, ni dans son implantation géographique, ni dans la confiance que les autorités publiques locales, régionales et nationales semblent placer dans l’entrepreneur qui est à son origine.

Le marché du 4x4 pur et dur ? Moins qu’une niche : un trou de souris

Commençons par observer ce fameux Grenadier dont on ne connaît, un an avant sa mise en production, que quelques photos. Il ressemble à s’y méprendre à un Land Rover Defender 3. Évidemment, quelques différences de style font que justement, les experts de la propriété industrielle ne s’y méprennent pas, et que Land Rover n’attaque pas la nouvelle marque pour plagiat. Un constructeur qui, d’ailleurs, n’a pas voulu vendre la licence de son ancien modèle, aujourd’hui remplacé par une nouvelle version. Mais le Grenadier ne fait pas que reprendre les grands traits de l'ancien Defender, il en reprend aussi la rusticité avec un châssis échelle, et des essieux rigides. Côté moteurs, ce sont des blocs à 6 cylindres BMW essence et diesel qui viendront se glisser sous le capot d'inspiration Land Rover.

Entre le Land Rover Defender 3 ...
Entre le Land Rover Defender 3 ...
... et l'Ineos Grenadier 1, on retrouve comme un air de famille.
... et l'Ineos Grenadier 1, on retrouve comme un air de famille.

Ces formules sont bien entendu éprouvées et leur fiabilité n'est pas menacée. Mais le cocktail poids (forcément élevé), puissance (forcément élevée aussi) et couple indispensable pour arracher la bête du sol et lui permettre d'évoluer en off-road, devrait aboutir à un taux d'émission de C02 gigantesque, et un malus qui l'est tout autant. Il pourrait atteindre 30 000 euros et multiplier par deux le prix de la voiture, qui, selon les premières estimations, devrait justement coûter 30 000 euros. Ce malus élevé a justement tué le marché du "vrai" 4x4. Son leader, le Toyota Land Cruiser, n'est plus que l'ombre de lui-même en Europe. Quant à son concurrent, le Mitsubishi Pajero, il a carrément jeté l'éponge l'an passé, la marque ayant décidé de ne pas remplacer le modèle. C'est précisément dans cette période de bérézina qu'Ineos compte lancer son engin. Soit.

L'hydrogène ? Oui, mais pas tout de suite

Il compte aussi sur un accord qu'il vient de signer in extremis (peut-être en ayant pris connaissance du montant du malus) avec Hyundai pour s'en tirer. Selon cet accord, le nouveau venu pourrait utiliser la technologie à hydrogène du coréen. Soit. Sauf que le Nexo, le SUV Hyundai ainsi propulsé, ne s'est vendu qu'à 7 500 exemplaires l'an passé à travers le monde. C'est peu, surtout pour le leader du genre qui dispose d'un réseau de distribution mondial et d'une image de marque mondiale aussi, contrairement à Ineos. Et si l'hydrogène est peut-être promis à un bel avenir, ce n'est pas pour tout de suite, même pas pour après-demain. Alors à qui Ineos va-t-il vendre les 25 000 autos qu'il a décidé de fabriquer chaque année à Hambach dès 2022 ? Il est certes des régions du monde moins contraignantes en termes de pollution que la vieille Europe, comme les États-Unis, l'Afrique du Sud ou l'Australie. Des régions que ce type de voitures peut intéresser. Mais dans ce cas, pourquoi le fabriquer en France ?

Jim Ratcliffe, patron d'Ineos, première fortune britannique, favorable au Brexit, patron de l'OGC Nice et réfugié monégasque.
Jim Ratcliffe, patron d'Ineos, première fortune britannique, favorable au Brexit, patron de l'OGC Nice et réfugié monégasque.

Cette décision est le fait du patron. En l'occurrence, Jim Ratcliffe, un garçon assez peu ordinaire, et plutôt éloigné du profil classique d'un capitaine d'industrie, car parti de pas grand-chose, comme les grandes sucess story. Première fortune d'Angleterre, il dispose de 24,5 milliards d'euros acquis grâce à l'éblouissante réussite du groupe chimique Ineos dont il est le principal actionnaire. Il est aussi le propriétaire de l'OGC Nice et a racheté l'an passé l'équipe cycliste Sky. Pourquoi pas ? La diversification, même dans le foot et le vélo, a ses charmes. Mais l'homme est quelque peu pétri de contradictions et de volte-faces. Farouche défenseur du Brexit en 2016, il n'a pourtant pas hésité à se transférer, lui-même et toute sa fortune, à Monaco deux ans plus tard. Son Grenadier (un nom qui lui est venu dans le bar du même nom où l'idée a germé), Ratcliffe a d'abord promis de le fabriquer au Portugal, puis au Pays de Galles, touché par la fermeture d'une usine Ford. Une manière d'être cohérent avec sa volonté d'aider l'Angleterre, qu'il appelait de ses vœux à quitter l'Union européenne.

Jim Ratcliffe, alias Dr No

Patatras, il y a quelques jours, changement de stratégie : le Grenadier ira se faire fabriquer à Hambach. Pourquoi la Moselle alors que le boss affirme que sa clientèle principale n'est pas en Europe et que puisque c'est ainsi, peu lui importe le libre-échange entre les pays de l'UE ? Pour des raisons qui pourraient être purement pécuniaires. C'est qu'au pays de Galles, Grenadier se retrouvait seul, avec une usine désespérément vide, alors qu'à Hambach, Ratcliffe a dealé avec le groupe Daimler-Benz, propriétaire de Mercedes et de Smart. L'Anglais a donc récupéré l'usine mosellanne avec un beau marché à la clé : il continuera à fabriquer des Smart ForFour jusqu'en 2024, ainsi que des faces avant du Mercedes EQC. Peut-être a-t-il également bénéficié des aides des collectivités locales et territoriales pour s'installer et éviter le chômage à 1 300 salariés, sur les 1 500 que compte le site actuellement. Curieusement, les montants de la transaction entre les différentes parties sont mystérieusement tenus secrets.

L'usine de Hambach en Moselle est sauvée. Pour l'instant.
L'usine de Hambach en Moselle est sauvée. Pour l'instant.

Reste qu'apparemment, les bons comptes faisant les bons amis, tout le monde est gagnant pour le moment. Daimler se débarrasse de Hambach sans grabuge social, les collectivités aussi, à quelques mois des élections régionales. Quant à Ratcliffe, il est à la tête d'une unité de production qui peut tourner à un bon régime pendant 4 ans. Et le Grenadier dans cette affaire ? D'ici 2024 et la fin de l'accord avec Mercedes, son succès et sa rentabilité sont accessoires. Après cette date ? L'avenir de Hambach et de ses salariés sera lié au bon vouloir du patron, baptisé "Dr No "par les syndicats anglais comme le rappelle le Financial Times. Un garçon jamais très enclin à perdre de l'argent dans des opérations non rentables et qui, selon l'un de ses interlocuteurs cité par le quotidien anglais, a des méthodes de négociations "qui ne plaisent pas à tout le monde. Surtout lorsqu'elles se déroulent dans la douleur". Reste à souhaiter que l'avenir de l'usine de Hambach ne soit pas teinté de cette couleur.

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