Jacques Tati, le cinéaste de l'automobile
Durant toute sa vie, le cinéaste a raconté les travers de la société française et sa course effrénée vers la modernité. Une traversée du XXe siècle forcément marquée par la mobilité en général et l'automobile en particulier.
Après des années de restauration et de controverse juridique, la fille de Jacques Tati et sa nièce, la metteuse en scène de théâtre Macha Makeïeff ont réussi. Les films du plus étrange des cinéastes français sont désormais visibles sur la plupart des grandes plateformes.
En se replongeant dans le curieux univers de ce grand échalas clownesque, on se rend évidemment compte de la grandeur de son œuvre mais aussi de la vision qu'il avait de son époque, de 1948 à 1974. En 26 ans et 6 films seulement, il a pris la mesure de la modernité, des trente glorieuses, de l'évolution de la mobilité en général, et de l'automobile en particulier.
Au commencement était le vélo
le biclou est au centre de Jour de fête. Le vélo du facteur mène la danse dans le premier long-métrage de Tati, tourné en 1946. Et il ne s'en laisse pas conter par les voitures qu'il empêche de rouler en rond. Mais déjà, la modernité le menace.
L'"américanisation" et l'industrialisation de la tournée du courrier vire à la catastrophe, mais les nouvelles formes de consommation pointent le bout de leurs capots. Elles insistent dès le film suivant.
Dans les Vacances de M. Hulot, Tati dépeint les mœurs de cet après-guerre conquérant et assoiffé de nouveautés, de l'automobile aux bains de mer des congés payés. Hulot-Tati rejoint la station balnéaire dans une vieille Salmson, une cyclecar d'avant-guerre, et se fait dépasser, et rejeter dans le fossé par de grosses autos de ces années 50 débutantes.
Quatre ans plus tard, Monsieur Hulot n'est plus en vacances. Il voit le monde changer et sa banlieue se transformer. Dans Mon oncle, il a troqué son vélo et sa Salmson contre un Solex. il lui permet de rendre visite à son neveu et à ses parents, plongés dans la modernité des années de croissance. Madame, à la maison, comme il se doit, s'offre les appareils ménagers dernier cri et monsieur, cadre aussi dynamique que possible revient au foyer avec sa nouvelle voiture : une Chevrolet Bel Air au magnifique toit fuchsia.
Le rond-point devient manège
Dix ans plus tard, dans Playtime, la modernité a définitivement gagné. Les Solex et les vieux immeubles cèdent leur place aux voitures victorieuses, toutes similaires et aux nouveaux immeubles clinquants. la France gagnante des années 60 va néanmoins se retrouver bloquée, dans une scène finale magistrale : un gigantesque embouteillage de rond-point, encore une modernité de l'époque. Un rond-point ou les autos tournent comme sur un manège. Et le film s'achève dans une nuit d'électricité ou le noir n'a plus droit de citer sauf quand le film est terminé.
Ce fil rouge automobile dans l'œuvre de Tati trouvera son apothéose en 1971 avec Trafic. Monsieur Hulot est toujours aux commandes. Mais cette fois-ci il est censé convoyer une 4L transformée en camping-car bourré de gadgets vers le salon de l'auto d'Amsterdam.
Il est accompagné par l'attachée de presse de son entreprise qui conduit un petit cabriolet Siata Spring d'un joli jaune seventies. Rien ne se déroulera comme prévu, forcément, et les autos feront tout ce qu'il faut pour faire échouer les projets des humains. Comme si elles en avaient marre de n'être que des esclaves au service de leurs prétentions.
Pour son dernier film, Parade, Tati abandonne le trafic automobile et la modernité pour en revenir à ses premières amours : le cirque. À la manière de Chaplin dans Limelight, il délaisse une époque qu'il a beaucoup critiquée pour se réfugier dans l'intemporalité de la piste aux étoiles.
Qui sait ce que Tati, qui nous a quitté en 1982, aurait pensé de notre époque à nous ? Nul doute que Monsieur Hulot se serait emmêlé ses grands pinceaux dans les câbles de recharges d'une voiture électrique, même s'il aurait été embarrassé par son silence, lui qui ne jouait que des sons, en délaissant les dialogues des comédiens.
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