Quand Springsteen et Jeep font de la politique, ça ne peut pas faire de mal à l'Amérique
L'auteur-compositeur Bruce Springsteen est apparu, au cours de la mi-temps du Super Bowl le 7 février dernier, dans une pub pour l'une des marques américaines du groupe Stellantis, Jeep. Pendant deux minutes, il a exhorté ses concitoyens à se rassembler après les événements du Capitole. Un affichage de bons sentiments de pure façade ? Pas forcément.
D'accord, c'est de la pub. Ok, c'est du show, et à grosses ficelles en plus. Mais la prestation de Bruce Springsteen dans un spot télé pour Jeep est porteuse d'un message pas vraiment subtil, mais perceptible par tous, et surtout par les partisans de Donald Trump, ceux-là mêmes qui ont envahi le Capitole le 6 janvier dernier. Un message de rassemblement autour des valeurs démocratiques américaines, simple, direct et efficace qui a certainement eu plus d'impact que les discours de l'ensemble des hommes politiques états-uniens. De Joe Biden à Barack Obama, tous ont pourtant exhorté les citoyens américains en général, et les agités du Capitole en particulier, à retrouver le chemin d'un avenir commun.
Car justement, ce spot utilise leurs codes, leurs symboles, une idole et l'automobile. Il a, de plus, été diffusé dans le programme télévisé qu'ils regardent forcément : la finale du Super Bowl, qui a rassemblé 91 millions de téléspectateurs, et pas avant le JT de CNN ou dans les pages politiques du Washington Post.
Deux minutes d'extrême-centrisme
Pendant deux minutes, le boss (le petit nom que ses admirateurs ont donné au chanteur) ne vante pas seulement les mérites de Jeep, marque de la galaxie Stellantis (FCA et PSA) qui fête ses 80 ans. L'auteur-compositeur, au volant d'un modèle CJ-5 de 1980, se retrouve près d'une chapelle du Kansas, censé être le point central des États-Unis. Une localisation qui tombe à pic puisque le spot s'appelle The Middle et évoque ce juste milieu de l'échiquier politique qui doit, selon Springsteen, rassembler le pays, qu'il souhaite voir prendre tout entier la route de l'avenir, en mêlant les couleurs de l'Amérique, le rouge des Républicains, et le bleu des Démocrates.
On peut observer cette opération au travers du filtre du cynisme, ce filtre devenu le credo des réseaux sociaux. On peut n'y voir qu'un Springsteen avide de ramasser un paquet de dollars. Il avait déjà prêté son nom à la marque, mais a systématiquement refusé d'apparaître à nouveau dans une pub pour le constructeur depuis 10 ans. Il a donc forcément fait monter les enchères, diront les aigris. On peut aussi en conclure qu'une marque n'a pour seul but que de vendre le plus de voitures possibles et par tous les moyens possibles, en se moquant, au passage, de la démocratie comme de son premier vilebrequin. On peut y voir tout cela, et même y déceler un politiquement correct de bon aloi, qui prend soin de n'offenser personne, ni gauche, ni droite, dans un exercice extrême-centriste.
Le folklore et ses valeurs
Peut-être que the Middle est tout cela à la fois. Et alors ? Si les complotistes de QAnon et les Proud boys prêts à en découdre avec des armes et à renverser une administration corrompue, selon leurs dires, ont perçu le message, tout le monde a gagné : Springtseen, Jeep et la démocratie. Et même s'ils n'ont pas adhéré au rassemblement réclamé, au moins auront-ils vu défiler leurs propres valeurs : le drapeau - qui apparaît à plusieurs reprises dans le spot -, le patriotisme et la bagnole, en s'apercevant au passage qu'ils s'excluent eux-mêmes du folklore qui est le leur.
Parfois, la fin justifie quelques moyens, quelques paquets de dollars et quelques 4x4 vendus. Et tant pis si, une semaine après la diffusion du spot, des médias américains révélaient que le boss avait été contrôlé en état d'ébriété au volant. Et tant pis si Jeep a retiré sa campagne dans la foulée. On ne devient pas une légende du rock'n'roll sans quelques dérapages.
Ce spot publicitaire remarqué, diffusé un mois après l'invasion du Capitole, en rappelle un autre du même tonneau : celui d'Arnold Schwarzenegger. Le comédien musclé est apparu dans une vidéo qu'il a fait réaliser, quelques jours après l'attaque de Washington. L'ex-gouverneur de Californie y rappelle être né dans un pays, l'Autriche, qui, à un moment de son histoire, a oublié ce qu'était la démocratie, avant de brandir l'épée de Conan le Barbare, l'un de ses célèbres rôles. "Notre démocratie est comme l’acier de cette épée. Plus elle est frappée, plus elle devient forte", a déclaré Schwarzie.
On peut trouver la prestation ridicule, et affirmer sans risque de se tromper que Conan le barbare n'est pas un chef-d’œuvre du septième art. Mais la vidéo de Schwarzenegger du mois de janvier a été vue par des millions d'Américains, comme celle de Jeep le 7 février dernier.
Terminator et le boss ont en tout cas essayé, à leur curieuse manière, très américaine, de calmer des esprits lessivés par quatre années d'un spectacle beaucoup plus dangereux que celui auquel ils se sont livrés.
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