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Voitures radar bientôt toutes privatisées ?

Dans Pratique / Radars

Stéphanie Fontaine , mis à jour

Annoncée depuis 2015, l’externalisation de la conduite des véhicules dotés d'un radar mobile reste en cours de déploiement. Les informations à ce sujet demeurent éparses, voire opaques. À terme, il est toute de même toujours bien question de ne laisser que les entreprises privées s’en charger, alors que se pose vraiment la question – que ces autos soient privatisées ou non - de leur réelle efficacité !

Voitures radar bientôt toutes privatisées ?

« À la gendarmerie et à la police, les voitures radar, ce n’est pas pour nous ! », rappelle Laurent Collorig, juste avant son départ de l’Unité de Coordination pour la Lutte contre l’Insécurité Routière (UCLIR) qu’il dirige depuis 2019 au sein du ministère de l’Intérieur et qu’il quitte en ce début juin. « Notre réflexion est simple : deux agents dans une voiture banalisée qui flashe des voitures qui roulent trop vite, cela ne permet pas de faire de la prévention. Or, insiste-t-il quand on l’entreprend sur le sujet, la prévention, c’est aussi le cœur de notre mission ».

À l’écouter, ce serait ainsi ce refus de les utiliser qui aurait surtout conditionné l’externalisation de la conduite de ces « radars mobiles de nouvelle génération (RMNG) » à des prestataires privés. Il ne s’agirait pas – ou en tout cas, pas seulement -, comme invoqué lors de l’annonce officielle de cette mesure en 2015, « de soulager » les représentants des forces de l’ordre, « afin qu’ils puissent se consacrer à d’autres missions ».

À l’époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, le sous-emploi de ces véhicules par les forces de l’ordre était déjà bien mis en avant - 1h30 d’utilisation par véhicule par jour en moyenne contre 5H30 aujourd'hui avec les entreprises privées. L’origine de cette sous-utilisation n’avait cependant pas vraiment été développée…

Mais quelle différence y a-t-il avec les radars automatiques embarqués, utilisés uniquement à l’arrêt, et eux aussi associés à un véhicule banalisé auxquels les agents ont toujours recours ? « En bord de route, ces radars embarqués sont vite repérables, rétorque Laurent Collorig, et d’ailleurs, les forces de sécurité peuvent tout à fait décider de se rendre visibles lors de ces contrôles ».

Or, dès qu’ils sont repérés, les automobilistes ralentissent, font des appels de phare pour prévenir les autres usagers… Bref, ces contrôles, même s’ils sont automatisés, selon le colonel de gendarmerie, « sont sécurisants pour ceux qui n’ont rien à se reprocher, et incitent les autres à lever le pied sur plusieurs kilomètres, au moins. »

Des chauffeurs "privés" sérieusement menacés

Les contrôles par voitures radar, eux aussi, se font parfois repérer, et quand ce ne sont pas des gendarmes ou des policiers à bord, cela peut poser de sérieux soucis de sécurité à celui qui est au volant ! Dans une réponse apportée le 19 avril dernier à plusieurs députés qui demandaient que ces véhicules soient signalés « comme c'est déjà officiellement le cas pour les radars fixes », le ministère de l’Intérieur relève que « des actes malveillants à l’égard des conducteurs, la plupart heureusement sans gravité, sont régulièrement constatés ».

Il serait question surtout d’insultes et de gestes déplacés, mais pas seulement… « Des actes plus dangereux se produisent également (suivi / freinage, blocage du véhicule, agression physique, dégradation), dont certains ont donné lieu à dépôt de plainte ou de main courante », détaille Beauvau. Une cinquantaine d'incivilités serait alors dénombrée par mois dont 20 %, soit une dizaine, d'actes dangereux à leur encontre.

Conclusion du ministère : « il apparaît peu pertinent de réaliser un marquage spécifique des voitures radars, au risque d'exposer encore davantage ces personnels civils ». La seule communication susceptible d’être envisagée, selon lui, serait la cartographie des axes contrôlés sur les sites Internet des préfectures, comme c’est le cas pour la Loire-Atlantique et le Maine-et-Loire.

On peut en tout cas s’attendre à la multiplication de ces agressions avec la généralisation de cette externalisation de la conduite des voitures radar. Officiellement, sur les 12 régions métropolitaines françaises concernées par la mesure (il n’est pas dit qu’elle s’étende à la Corse, pas plus qu’à l’Outre-mer), il y en a 8 où des contrats ont d’ores et déjà été signés pour la fourniture des chauffeurs.

Pour l'heure, le marché se partage entre 4 sociétés (voir notre carte ci-dessous) :

  • La société de nettoyage Challancin (sous la marque Mobiom le plus souvent) a obtenu trois contrats - et même quatre en comptant le tout premier lancé en 2018 pour l'externalisation de la conduite des voitures radar en Normandie, où elle vient d'être reconduite. On la retrouve également en Bretagne et dans le Grand Est.
  • La société de sécurité Geos (ou sa filiale GSR) et OTI France, deuxième installateur de compteurs Linky sur le territoire, en ont chacun deux : le Centre-Val de Loire et la Nouvelle Aquitaine pour GEOS, les Pays de la Loire et la Bourgogne-Franche-Comté pour OTI France.
  • Enfin, Securitas en partenariat avec Ineo Infracom du groupe Engie ont remporté l'appel d'offres pour les Hauts-de-France.
Voitures radar bientôt toutes privatisées ?

Une "privatisation" complète sans cesse repoussée

Cette année, le déploiement devrait s’étendre aux quatre régions restantes : l’Occitanie, l’Auvergne-Rhône Alpes, la Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’Île-de-France. Mais cela reste à confirmer, car aucune procédure pour recruter les entreprises de chauffeurs n’a encore été lancée dans ces régions.

D’une manière générale, les retards concernant cette privatisation ne cessent de s’accumuler… Et renseignement pris auprès de la Sécurité routière, les voitures radar restent pour l’heure en majorité sous la houlette de la gendarmerie et de la police.

Au 1er janvier 2022, le parc total comprend 385 véhicules, en diminution depuis 2 ans : il y en avait 449 au 1er janvier 2020, puis 409 en 2021. Et là-dessus, 227 sont à la disposition des forces de l’ordre et 158 à celle des opérateurs privés. Soit bien moins que ce qui était initialement programmé.

Le parc pour cette fin 2021 devait même revenir au niveau de 2020, soit tourner autour de 450 unités, avant d'être ainsi revu à la baisse. Puis, dans tous les cas, il devait contenir 223 véhicules conduits par des chauffeurs salariés d’entreprises privées, alors qu'en fait il n'y en a que 158.

Comment se répartissent ces radars « privatisés » dans les régions où cette externalisation est déjà déployée ? De fait, on ne le sait pas bien… Officiellement, en Normandie, il y en a 26, 18 en Bretagne, 19 dans Pays de la Loire, 20 dans le Centre-Val de Loire, 40 dans le Grand Est, 33 dans les Hauts-de-France, 45 dans la Nouvelle-Aquitaine et 24 en Bourgogne-Franche-Comté, ce qui nous donne un total de 223. Or, comme déjà indiqué, le compte n’y est pas.

En fait, il s’agit d'objectifs à atteindre, mais la situation en temps réel est difficile à suivre, tant les informations sont données au compte-gouttes. En outre, certaines ambitions ont, semble-t-il, été revues à la baisse. « Au total, 19 voitures-radars seront déployées sur les routes » - et non 24 -, apprend-on par exemple dans un communiqué de la préfecture de la Côte-d’Or publié en mars pour la région Bourgogne.

Une opacité toujours de mise…

Si, à terme, il est bien toujours prévu que tout le parc passe sous pavillon privé, la conversion est progressive et, surtout, bien plus lente que prévu. Il nous paraît évident qu’elle ne sera pas achevée cette année, ni, selon toute vraisemblance, l’an prochain.

Quant aux vraies performances de ces voitures radar externalisées, elles restent tout bonnement très secrètes ! Dans tous les chiffres épars communiqués, via les réponses aux parlementaires, quelques données transmises à la presse locale, et les maigres bilans annuels du ministère de l’Intérieur (Sécurité routière/Antai), il est difficile d’y voir bien clair.

Début février, L'Ardennais a publié des chiffres relativement précis fournis par la préfecture du département. Selon l’article, entre 3 et 5 voitures radar « verbalisent » dans les Ardennes. « Depuis le 15 octobre dernier, 2 799 infractions ont été enregistrées par ces voitures radars privées, 101 concernant des véhicules étrangers, poursuit le papier. Dans le détail, 2 643 véhicules ont été flashés sur les routes départementales des Ardennes, 128 sur les routes nationales et 28 sur l’autoroute. »

Près de 2 800 flashs pour combien de véritables PV dressés ? Le journal ne le dit pas. Tout comme on ne sait pas bien combien d’appareils exactement ont tourné sur toute la période, et d'ailleurs sur quelle période exacte.

Si l’on prend du 15 octobre au 31 janvier inclus, avec seulement 3 autos (ce qui est la configuration disons la plus avantageuse en termes de chiffres), cela correspond à moins de 9 flashs par jour et par radar. Avec 5 véhicules, on tombe à à peine plus de 5 déclenchements par jour.

À titre de comparaison, en 2015 quand cette mesure d’externalisation est prise, on en était à plus de 23 flashs, en moyenne quotidienne et nationale. Le parc était alors sous la houlette unique des gendarmes et policiers, et l’utilisation moyenne de chaque véhicule n’était que d’une heure et demie pour rappel !

Comme l’a évoqué la ministre déléguée d’alors auprès du ministre de l’Intérieur, Marlène Schiappa, à l’été 2021 lors de questions au gouvernement au Sénat, la projection selon laquelle cette privatisation permettrait d'établir 12 millions de PV « n'est fondée sur aucun constat ». Peut-être… Mais pourquoi ne pas rendre publiques ces statistiques ? Comme d’ailleurs celles de tous les autres radars ?

Marlène Schiappa ajoutait : « Aujourd’hui, la mesure d'externalisation de la conduite des voitures radars permet d'accroître l'utilisation des voitures, sans pour autant engendrer une multiplication des PV ». À l’heure où l’on réclame aux Français d’abandonner leur véhicule dès qu’ils le peuvent pour moins polluer, l’argument risque tout de même de devenir peu audible.

Si en plus cette privatisation ne se justifie que parce que les véhicules sont quantitativement davantage employés, sans que cela ne génère de changement qualitatif, il y a de quoi s’interroger. Et si alors on observe que les contrôles dans le flot de la circulation laissent passer davantage de conducteurs en infraction que les radars à poste fixe (ce qui comprend les radars embarqués, par exemple, et même les voitures radar quand elles sont utilisées par les forces de l’ordre), cela risque de devenir carrément intenable !

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