Boîte noire dans nos voitures : ni grand progrès, ni inconvénient majeur
Elle devient obligatoire dans tous les modèles neufs. Mais on a beau chercher en quoi elle entravait nos libertés, on n'a pas trouvé. Du coup, nous nous sommes demandé qu'elle était réellement son utilité, mais on n'a pas trouvé non plus. La boîte noire : une techno inutile pour tous, sauf pour les assureurs.
Ça y est : depuis ce 2 mai à minuit et une minute, toute voiture sortant d'une chaîne de production de n'importe quel coin de la planète et destinée à être vendue en Europe doit être munie d'une boîte noire. La décision, prise en 2019 par Bruxelles est donc appliquée depuis cette nuit. Alors, comme à chaque fois que les pouvoirs publics entérinent une opération de contrôle sur nos manières de conduire, la sentence ne devrait pas tarder.
On entend déjà résonner le brouhaha des réseaux sociaux, toujours dans l'émotion et très rarement dans la réflexion. Aux cris de "Big brother is watching you", de "c'est encore un pan de nos libertés qu'on nous retire" ou de "on est tous fliqués", cette mesure devrait, à n'en point douter, susciter un tollé. Et pourtant, la maléfique boite ne fait rien de ce qu'on lui reproche.
Mais à quoi va-t-elle bien pouvoir servir ? En fait de boîte, il s'agit d'une simple puce électronique protégée des pires chocs. Selon la directive européenne, cette puce va enregistrer plusieurs données : le port (ou non) de la ceinture, la vitesse de la voiture, ses freinages et ses accélérations, l'usage du clignotant et l'allumage (ou non) des phares. Toutes ces données sont écrasées et remplacées toutes les deux minutes, jusqu'à ce que se produise un accident. Dans ce cas, le système garde en mémoire ce qu'il a enregistré 30s avant le choc et 30s après. Les forces de l'ordre pourront ensuite accéder à la boîte noire et en recueillir les données.
Une boîte noire qui n'enregistre pas les conversations, contrairement à celle des avions
L'affaire est en tous points similaires aux boîtes noires qui équipent les avions depuis des décennies, à une variante près : elles n'enregistrent pas les conversations de l'habitacle, alors qu'elles recueillent tout ce qui se dit dans le cockpit d'un avion. Ces enregistrements, aériens ou routiers, sont donc consignés, écrasées, reconsignées et restent dans la puce. À aucun moment, elles ne sont transmises à l'extérieur via un système GPS, 4G, 5G ou autre et recueillis par un groupe de mystérieux maîtres du monde qui n'ont qu'une volonté : nous asservir.
Exit donc, l'argument de privation de notre liberté de nous déplacer ou bon nous semble qui ne devrait pas tarder à émerger. Curieusement, d'ailleurs, les mêmes pseudos défenseurs de liberté à tous crins se sont peu exprimés en 2018, au moment de l'obligation de mise en place de l'e-call, pourtant autrement intrusif, et qui équipe toutes les autos depuis cette année-là. De quoi s'agit-il ? Chaque auto est reliée automatiquement, via le GPS, à une plate-forme d'assistance à même de prévenir les secours en cas d'accident. Nul doute que le procédé a sauvé des vies, mais nul doute aussi qu'il est du coup, beaucoup plus big brother que la boîte noire.
Si, du coup, notre fameux mouchard, d'ailleurs déjà en vigueur sur les camions et les autocars, n'a aucun inconvénient, c'est qu'il est forcément bourré davantage pour les conducteurs ? Or, on a beau chercher : on n'en a pas trouvé. En cas d'accident, l'intérêt de la boîte noire pour les assureurs est évident : une fois les données de la boîte recueillies, ils sauront établir en deux clics les responsables d'un sinistre. Chic, puisque c'est plus facile, c'est aussi moins cher et nos mutuelles ou grandes compagnies vont baisser le montant de nos primes. Mais pas vraiment.
Un bon plan, pour les assureurs seulement
Comme toute nouvelle techno, la boîte noire a un prix, que les constructeurs vont répercuter sur les clients. Or, une grande part du calcul d'une prime d'assurance auto est liée au prix de ladite auto. Autant dire qu'assurer une voiture payée plus cher ne risque pas, au final, d'aboutir à une prime plus basse. Au mieux, nos bons assureurs vont se la jouer grands seigneurs en nous expliquant qu'ils n'augmentent pas leur tarif, malgré le surcoût. Résultat : ils vont améliorer leur chiffre d’affaires grâce au gain de productivité réalisé sur l'établissement des responsabilités des sinistres. De leur côté, les consommateurs n'auront strictement rien à y gagner.
Certes, une telle affirmation est quelque peu exagérée, car les boîtes noires peuvent, éventuellement, dissuader les conducteurs de rouler la nuit sans lumière et dans le noir, mais avouons-le, ce type d'énergumène est rare. Beaucoup plus rare que ceux qui pianotent sur leur téléphone en conduisant, qui roulent chargés de 3g d'alcool ou qui somnolent au volant. Autant de dangers que la boîte noire ne saurait détecter.
Aider le secteur de l'assurance est une motivation comme une autre. Sauf que cette branche n'en a pas réellement besoin. Axa, son leader, a dégagé en 2021 un bénéfice record de 7,29 milliards d'euros, Du coup, force est de constater qu'une mesure qui ne sert que les intérêts de ceux qui n'en ont pas réellement besoin est une mesure inutile. Pour le moins.
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